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Japon : la conception générative au service de panneaux solaires flottants

Dans la région Asie-Pacifique, notamment dans les nations insulaires telles que le Japon et les Philippines, les systèmes de panneaux solaires flottants comme celui-ci continuent de gagner en popularité.

  • La production d’énergie photovoltaïque flottante prend de l’ampleur dans le contexte de la demande mondiale croissante en matière de neutralité carbone.
  • Avec son faible encombrement, le solaire flottant représente une alternative intéressante aux panneaux solaires au sol.
  • Le designer industriel primé Satoshi Yanagisawa a été chargé par une entreprise japonaise qui promeut les énergies renouvelables de planifier et de concevoir un mécanisme de flotteur destiné à être utilisé pour la production d’énergie solaire à partir de l’eau.
  • La conception générative donne aux entreprises et aux concepteurs la possibilité de comparer un éventail large et diversifié d’options pour les infrastructures solaires flottantes avec un minimum de main-d’œuvre.

À mesure que la demande de neutralité carbone s’accroît, la production d’énergie photovoltaïque flottante – ou solaire flottant – occupe une place importante dans le débat sur la durabilité, et ce pour de bonnes raisons. Les systèmes photovoltaïques flottants ont deux objectifs : produire de l’électricité et stocker de l’eau. Leur impact environnemental est faible en raison de leur empreinte minimale, à condition que les sources d’eau utilisées ne contiennent pas de vie aquatique.

Les systèmes solaires flottants ne sont pas obstrués par les arbres et les plantes, ce qui leur donne un accès direct à la lumière du soleil tout au long de la journée. En outre, l’eau a un effet de refroidissement, ce qui rend les panneaux solaires plus efficaces. Les normes du jeune marché du solaire flottant sont encore en cours d’élaboration, mais l’adoption se développe rapidement, notamment dans les zones où les panneaux traditionnels ne sont pas viables. Le principe est aligné sur les promesses d’émissions nettes nulles dans le monde entier ; des pays comme le Japon ont ainsi adopté des lois visant à atteindre l’objectif d’émissions nettes nulles d’ici à 2050.

Pour protéger les espaces ouverts : utiliser plutôt de l’eau

Le Japon dispose d’une quantité limitée de terrains bien éclairés pour les systèmes photovoltaïques, même dans les zones montagneuses. Là où elles existent, les forêts de montagne à grande échelle doivent être défrichées, ce qui est contre-intuitif pour l’initiative zéro carbone.

Le designer industriel japonais Satoshi Yanagisawa n’est pas étranger aux risques écologiques que peut poser la production d’énergie solaire sur des terrains montagneux et en pente. « Au Japon, la fabrication de systèmes d’énergie solaire sur les flancs des montagnes ou dans des endroits similaires devient problématique car les arbres sont abattus », explique-t-il. « Couper des ressources vertes naturelles pour construire quelque chose qui est censé être bénéfique pour l’environnement est un non-sens total. Nous devons cesser d’utiliser les terres pour des projets énergétiques. L’eau est plus fiable. »

Satoshi Yanagisawa est un vétéran des projets de design génératif issus de son studio Triple Bottom Line. Crédit : Satoshi Yanagisawa.
Satoshi Yanagisawa est un vétéran des projets de design génératif issus de son studio Triple Bottom Line. Crédit : Satoshi Yanagisawa.

Triple Bottom Line, un studio de design impliqué à Tokyo

Yanagisawa est à la tête de Triple Bottom Line à Tokyo. Son studio de design se concentre de manière unique sur l’hybridation des modalités, depuis les produits de design d’intérieur fonctionnels jusqu’aux machines durables et aux infrastructures pouvant être produites en masse. En tant que designer, Yanagisawa est naturellement attiré par les formes et les lignes esthétiques. Mais en tant qu’ingénieur, il estime que les objets doivent toujours avoir une fonction pratique et être faciles à commercialiser. Trouver un équilibre entre ces deux sensibilités est pour lui une quête permanente.

Originaire du Japon, Yanagisawa a étudié l’ingénierie de la conception et des matériaux à l’université, au Royaume-Uni, et s’est tout particulièrement concentré sur la conception de produits et le mobilier durable. Le design génératif – qui utilise des algorithmes pilotés par l’IA pour générer un large éventail d’options de conception bien au-delà de ce qu’une équipe humaine peut faire – l’a séduit très tôt, et lui a donné de nombreuses occasions d’affiner son art et d’explorer des solutions pratiques.

Le portefeuille de Yanagisawa est vaste, entre luminaires suspendus à LED et vélo de route imprimé en 3D avec fonctionnalité IoT, qui lui a d’ailleurs valu un prix d’innovation au CES en 2016. Il a également travaillé sur l’unité de contrôle électronique du moteur (ECU) de DENSO, lauréate du prix iF Design Award 2019, qui utilise la conception générative pour réduire le poids d’une ECU automobile d’au moins 12 %. Sa réalisation la plus récente est un dispositif flottant utilisé pour générer de l’énergie solaire sur l’eau – un projet qu’avec une petite équipe de cinq personnes, Yanagisawa a réalisé en seulement six mois. Il estime que ce processus aurait pris plus de deux ans sans l’application stratégique de la conception générative.

L'équipe de conception s'est appuyée sur une simulation informatique pour tester les performances du système photovoltaïque flottant. Crédit : Satoshi Yanagisawa.
L’équipe de conception s’est appuyée sur une simulation informatique pour tester les performances du système photovoltaïque flottant. Crédit : Satoshi Yanagisawa.

Conception générative et IA pour les projets de développement durable à grande échelle

Un entrepreneur principal japonais a été chargé de mettre au point un nouveau type de flotteur pour les systèmes photovoltaïques, mais il ne disposait pas des connaissances ou de l’expérience nécessaires en matière de production de masse pour respecter le délai fixé, si bien qu’on a fait appel à l’expertise de M. Yanagisawa.

L’entrepreneur avait déjà consacré de nombreuses heures et une bonne partie de son budget à la formation des employés, et il cherchait un moyen d’éviter de repartir de zéro. Une partie prenante du projet connaissait pour sa part le travail de Yanagisawa : c’est lui qui a pensé que son parcours correspondait à la mission.

À l’époque, Yanagisawa travaillait avec une très petite équipe : il a décidé très tôt que les méthodes traditionnelles de testing et de conception ne suffiraient pas, dans la mesure où le client ne dispose que de 15 mois pour réaliser l’ensemble du projet. De nombreux systèmes photovoltaïques flottants avaient déjà été mis au point, mais les flotteurs eux-mêmes n’étaient pas standardisés et devaient être conçus à partir de zéro. M. Yanagisawa a appliqué la conception générative, laquelle a permis d’obtenir rapidement 500 options de formes de flotteurs, avec une épaisseur de paroi minimale et optimale, en fonction de la résistance supposée nécessaire.

« Malgré les 500 solutions proposées, nous avons réalisé que nous devions modifier quelques éléments si nous voulions répondre à certaines normes », explique Yanagisawa. « Nous avons dû apporter des modifications aux modèles conceptuels sur la base des commentaires des ingénieurs côté usine potentiellement responsables de la production. Ce processus est connu sous le nom de “DFM” [pour « Design for manufacturing », conception pour la fabricabilité] ou de “MVT” [test de vérification de la production en série], généralement obligatoire pour les produits fabriqués en série. Nous devions également éviter les conflits de brevets, car il y avait déjà deux grandes entreprises dans le monde qui fabriquaient des systèmes photovoltaïques flottants – une entreprise française et une entreprise chinoise. »

Les lois et réglementations relatives aux systèmes solaires flottants n’étant pas encore tout à fait au point, Satoshi et son équipe ont établi leurs propres normes pour les flotteurs. A cette fin, ils se sont basés sur des standards existants bien étudiés pour les équipements de production d’énergie terrestres, les flotteurs et les ancres utiles dans d’autres domaines, ainsi que quant aux normes relatives à la pollution de l’eau. Tout en incorporant les éléments de conception fonctionnels nécessaires, ils ont réduit ces 500 options à quelques-unes, et ont finalement pu opter pour une version finale du design.

La conception générative a inspiré le système solaire flottant de Satoshi Yanagisawa, qui l'a néanmoins conçu pour être esthétiquement beau. Crédit : Satoshi Yanagisawa.
La conception générative a inspiré le système solaire flottant de Satoshi Yanagisawa, qui l’a néanmoins conçu pour être esthétiquement beau. Crédit : Satoshi Yanagisawa.

Test de flottaison à Kagawa

Une fois le prototype terminé, Yanagisawa et son équipe ont dû tester le dispositif dans un endroit approprié. Et ils ont choisi Kagawa, une préfecture japonaise au nord-est de l’île de Shikoku, bien connue dans le secteur agricole. Le sol de Kagawa est en effet fertile et propice à la production de cultures : pour compenser le manque de pluie, les habitants ont même développé leur propre système d’approvisionnement en eau.

Pour vérifier la fonctionnalité des flotteurs, une installation test a été créée à Kagawa en collaboration avec les habitants de l’industrie agricole, qui ont commencé à produire leur propre électricité pour l’alimenter. Le spécialiste de l’IAO, Misao Mizuno, expert en analyse structurelle et en dynamique des fluides, a été sollicité tout au long de la phase d’essai. Il a utilisé la simulation pour analyser de quelle manière le modèle répondait à des exigences de performance spécifiques. « La simulation informatique accélère le processus de développement et permet également de réduire le gaspillage lié au travail de validation, car elle réduit le besoin de tests physiques”, explique Yanagisawa. “Le plan initial prévoyait de tester le produit réel pendant cinq à six mois, mais comme Misao pouvait reproduire la plupart des tests dans l’environnement de simulation, le délai a été réduit à deux mois.”

Au terme de cette période de deux mois, les flotteurs de Yanagisawa ont réussi et ont été autorisés à être produits en série. « Notre système a fonctionné », déclare Yanagisawa. « Pour l’instant, il n’est utilisé que dans certains champs asiatiques car il n’existe pas encore de réglementation de sécurité standardisée au niveau mondial, mais quelques entreprises européennes sont intéressées. »

La production d’énergie photovoltaïque est encore un marché émergent, et il faut que de nouvelles réglementations soient adoptées pour que les entreprises puissent justifier le financement d’un projet à l’échelle du marché, mais la dynamique est bel et bien lancée. La conception générative ouvre toutes sortes de possibilités pour le prototypage rapide et l’essai du solaire flottant ; un accueil très favorable du public pourrait être à l’horizon.

Les fermes solaires flottantes comme celle-ci dans les eaux d'un barrage à Ubon Ratchathani, en Thaïlande, fournissent une énergie renouvelable sans utiliser de terres arables ou forestières.
Les fermes solaires flottantes comme celle-ci dans les eaux d’un barrage à Ubon Ratchathani, en Thaïlande, fournissent une énergie renouvelable sans utiliser de terres arables ou forestières.

Collaboration entre homme et intelligence artificielle

Avec une population croissante qui utilise de plus en plus d’espace sur la planète, des solutions originales comme les flotteurs de Satoshi Yanagisawa pourraient avoir un impact considérable sur la durabilité. « À l’origine, je suis un designer et je veux faire des choses belles et propres », explique Satoshi Yanagisawa. Et il aimerait voir une meilleure traduction du style dans l’IA et la conception générative.

« Actuellement, le design génératif se concentre sur la proposition de modèles optimisés en termes de masse et de structure en fonction des propriétés mécaniques, du prix, etc. », explique Yanagisawa. « Il ne s’agit pas de prendre des décisions d’ordre esthétique, mais simplement de traiter pour répondre aux exigences mécaniques et fonctionnelles établies dans des conditions spécifiques à l’aide d’une métacognition donnée à l’avance. Les réponses de l’IA peuvent sembler décousues, mais pour vraiment collaborer avec succès avec l’IA, nous devons comprendre correctement le langage de conception qu’elle utilise et le traduire dans le nôtre. »

Yanagisawa espère également résoudre la question de la création de systèmes solaires flottants pour la mer. Bien sûr, avec les systèmes photovoltaïques en mer, il faut faire face à des éléments extrêmes, notamment la montée du niveau de la mer, les conditions difficiles et l’impact que les flotteurs pourraient avoir sur la biodiversité. La conception générative permettra peut-être de trouver des solutions respectueuses de l’environnement dans ce domaine. La collaboration entre l’homme et l’IA est un territoire passionnant : lorsqu’ils peuvent s’appuyer sur leurs forces respectives, les possibilités sont illimitées.

 

À propos de l'auteur

Elizabeth Rosselle est journaliste free-lance, rédactrice et conceptrice. Elle partage son temps entre San Francisco et Bali en Indonésie.

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