Le rôle majeur de l’eau dans l’économie industrielle
- Aux États-Unis, une entreprise dite moyenne perd des centaines de dollars lorsqu'elle est privée d'eau.
- Les infrastructures défaillantes et les fuites de canalisations mettent les fabricants en danger.
- La création de partenariats entre le public et le privé pourrait être la clé pour combler les déficits de financement de l'amélioration des infrastructures d'eau à grande échelle.
Les centres de production américains, allant des ateliers et des chaînes de montage aux laboratoires de haute technologie et aux installations chimiques, sont reliés par des réseaux de chemins de fer, de routes et d'énergie électrique. Dans l'imaginaire collectif, la création de biens matériels exige de la force et du poids, un peu d'esprit d'initiative de la part des ouvriers et des solutions technologiques innovantes.
Ce qui est rarement abordé, mais qui est tout aussi important, c'est du besoin en eau de ce secteur. Face au réseau vieillissant de canalisations, d'installations de traitement et de stations d'épuration du pays, l’enjeu est crucial pour l'économie industrielle.
« Nous pensons généralement aux autoroutes et aux systèmes de transport lorsque nous parlons d'infrastructure », déclare Robyn M. Boerstling, vice-présidente de la politique en matière d'infrastructure, d'innovation et de ressources humaines pour la National Association of Manufacturers (NAM). Elle fait partie d'une coalition visant à changer la perception du public à l'égard des infrastructures essentielles. « Il n'y a pas que les routes, les ponts et les biens matériels qui sont importants. L'eau, comme l'infrastructure numérique, est essentielle à la production. »
La valeur de l'eau dans l'industrie manufacturière
Ce besoin capital a conduit l'organisation à but non lucratif United for Infrastructure (UFI), un partenariat industriel dont fait partie la NAM, à mettre l'accent sur l'eau dans le cadre de sa conférence de septembre 2020, intitulée « Une semaine pour défendre l'infrastructure de l'Amérique ». Bien que l'énergie et les transports retiennent généralement l'attention, l'eau est vitale pour l'écosystème manufacturier. Selon une étude de la coalition Value of Water, chaque jour où une entreprise américaine dite moyenne est privée d'eau, elle perd 210 euros de chiffre d'affaires par employé. Ce chiffre s'envole à 5 300 euros par employé dans les industries à forte consommation d'eau.
Malheureusement, le problème est encore plus grave qu'il y a dix ans. L'American Society for Civil Engineers (ASCE) a constaté qu'il y a environ 240 000 ruptures de conduites d'eau principales aux États-Unis chaque année. Chacune pouvant entraîner la fermeture d'une usine ou d'une installation industrielle. En 2019, 6,3 milliards d'euros d'eau traitée ont été perdus à cause des fuites dans les canalisations du pays.
« Ces entreprises ne peuvent pas exister sans eau », explique Greg DiLoreto, ingénieur et ancien président de l'ASCE, qui a récemment attribué la note D à l'infrastructure nationale de l'eau. « Dans des entreprises comme Intel, l'eau est un élément essentiel de l'activité. »
Le manque d'investissement dans l'eau nuit à l'industrie
Selon M. Boerstling, les États-Unis ont grandement investi dans l'utilisation rationnelle de l'eau pour les habitations et les sites industriels. Les canalisations et les systèmes qui acheminent l'eau vers ces foyers et ces entreprises ne bénéficient pas d'un soutien adéquat. Ils requièrent de mécanismes de financement plus robustes et supplémentaires.
Une partie de la stratégie visant à remédier à cette pénurie consiste à éviter le gaspillage et à préserver cette précieuse ressource. Les fabricants de semi-conducteurs, les centres de données et les autres sites de fabrication de haute technologie essentiels à l'économie numérique ont besoin d'eau extrêmement pure. Une usine de semi-conducteurs typique peut en utiliser 7,5 à 15 millions de litres par jour. Les risques physiques liés à l'eau sont des questions essentielles pour de nombreux fabricants.
Bien que ces clients du secteur de la haute technologie nécessitent de grandes quantités d'eau extrêmement pure, ils ne sont pas à l'origine d'une augmentation de la consommation d'eau domestique, ajoute M. DiLoreto. Au contraire, ils recyclent et réutilisent l'eau d’une façon de plus en plus sophistiquée. Les centres de données, par exemple, ont expérimenté le refroidissement par évaporation et construit leurs propres stations d'épuration pour refroidir les serveurs avec des eaux usées recyclées. Ils participent donc à la baisse générale de l'utilisation de l'eau. Le prix de l'eau a augmenté, car les services publics locaux s'efforcent de combler le déficit croissant de financement nécessaire pour remettre les systèmes en état. (M. DiLoreto estime ce déficit à 42 milliards d’euros).
Le problème de la réparation des canalisations et de la modernisation des infrastructures réside dans le financement. « Aucun investisseur n'est intéressé par la réparation des canalisations d'eau, ce n'est pas ainsi que l'on obtient un bon retour sur investissement », détaille M. DiLoreto. Les réseaux d'eau sont également décentralisés. Les États-Unis comptent plus de 53 000 réseaux d'eau, dont plus de la moitié sont des opérations autonomes desservant moins de 500 personnes. Ces petits acteurs peinent à trouver des fonds.
M. DiLoreto explique que les compagnies des eaux se sont généralement concentrées sur l'amélioration de l'accès à l'eau potable. Cet objectif noble a aussi empêché de collecter suffisamment d'argent pour réinvestir dans des infrastructures à long terme. Les nouveaux programmes de financement peuvent contribuer à combler ce fossé et à moderniser les canalisations et les usines en service depuis longtemps.
« À Washington, des canalisations existent depuis la guerre de Sécession », explique-t-il. « Rien ne devrait rester dans le sol aussi longtemps. »
Trouver des fonds pour financer l'amélioration des infrastructures
Pour combler ce déficit de financement, la NAM et d'autres défenseurs de l'industrie suggèrent de créer davantage de partenariats entre le public et le privé, afin de stimuler les investissements du secteur privé dans les infrastructures de l'eau. Des programmes, tels que le Water Infrastructure Finance and Innovation Act de 2014, peuvent aider les entités gouvernementales à débloquer des fonds supplémentaires pour les améliorations et les investissements.
M. Boerstling suggère également de supprimer certaines limites fédérales à l'investissement. Par exemple, l'Agence de protection de l'environnement fournit des ressources fédérales limitées par l'intermédiaire des Clean Water State Revolving Funds, mais le programme limite les obligations d'activité privée. Une étude de PricewaterhouseCoopers a montré que la suppression de ces plafonds et d'autres modifications réglementaires pourraient générer jusqu'à 61 milliards d’euros d'investissements supplémentaires dans les infrastructures de distribution d'eau et de traitement des eaux usées.
Par ailleurs, les villes et les collectivités locales ont pris l'initiative de trouver de nouveaux moyens de lever des fonds, en particulier celles qui accordent la priorité à l'amélioration des infrastructures dans le cadre d'une stratégie de développement économique plus large. Selon les données du CDP, 80 villes ont déclaré avoir investi au moins 8 milliards d'euros dans des projets d'adduction d'eau ces dernières années. Phoenix a émis 360 millions d'euros d'obligations locales pour soutenir des projets d'infrastructures hydrauliques dans le cadre de mesures plus larges de résistance à la sécheresse et pour contribuer à l'approvisionnement d'une usine qui produira de l'eau pour Apple. Le comté de Loudoun, en Virginie, abrite l'un des treize centres de traitement de données de Google en Amérique du Nord. Il envisage de construire un centre de traitement des eaux usées grâce à des fonds provenant du programme d'amélioration des immobilisations du comté.
En 2021, le président Joe Biden a signé un projet de loi sur les infrastructures prévoyant plus de 45 milliards d’euros pour améliorer les infrastructures d'eau aux États-Unis. En 2022, plus de 3,5 milliards d'euros ont été distribués. L'aide privée peut combler les lacunes et permettre aux projets de franchir la ligne d'arrivée, en attendant que d'autres fonds soient débloqués.
Les dirigeants du secteur espèrent que, de la même manière que l'innovation technologique a constamment créé de nouvelles possibilités de production, de nouveaux types d'innovation financière permettront aux entreprises de ne pas souffrir d'un manque d'eau.
Cet article a été mis à jour. Il a été publié initialement en septembre 2020.