Îlots de chaleur urbain : que peuvent faire les concepteurs pour les éviter ?
- Peu de villes sont construites pour faire face aux conditions de chaleur de plus en plus extrêmes causées par le changement climatique.
- Les architectes et les urbanistes sont soumis à une pression accrue pour créer des bâtiments, des espaces publics et d’autres environnements urbains capables d’assurer la sécurité des personnes en cas de températures extrêmes.
- La conception passive, les éléments d’eau, l’ombre et la verdure, ainsi que la technologie d’analyse des microclimats sont des outils que les concepteurs peuvent utiliser pour préparer les villes à un avenir plus chaud.
Alors que le changement climatique alimente les phénomènes météorologiques extrêmes dans le monde entier, la hausse des températures est devenue une réalité stupéfiante. L’année dernière, on a signalé une chaleur si extrême qu’elle est à l’origine de pas moins de 7 000 records aux États-Unis. Les températures ont dépassé 47 °C en Inde au mois de mai et les vagues de chaleur en Europe ont provoqué des sécheresses généralisées et plus de 20 000 décès.
Un aspect important n’apparaît pas dans ces rapports, toutefois : les villes du monde entier aggravent le problème. Elles sont construites sur la base d’éléments, entre matériaux absorbant la chaleur, absence d’ombre et de verdure, qui les rendent beaucoup plus chaudes que les zones rurales voisines. D’où ce que les météorologues appellent : « l’effet d’îlot de chaleur urbain ».
Oui, mais qu’est-ce au juste que ces îlots de chaleur urbains ? Pourquoi se forment-ils ? Que peuvent faire les architectes pour les prévenir ? Et comment la technologie peut-elle les aider ?
Îlots de chaleur urbains, une définition
Lorsque vous pensez aux plus grandes villes du monde, vous imaginez probablement d’imposants gratte-ciel en acier, des parkings en béton et des foules s’adonnant au lèche-vitrine sur les trottoirs. Ensemble, ces éléments constituent les ingrédients parfaits pour créer un îlot de chaleur urbain.
En effet, pendant la journée, les surfaces sombres comme l’asphalte agissent comme des “éponges à chaleur”, en absorbant beaucoup plus de rayonnement solaire que les surfaces plus claires, tandis que les grands bâtiments bloquent le vent et offrent de multiples possibilités de réfléchir la lumière du soleil. La nuit, toute cette chaleur stockée est lentement libérée dans l’air, s’ajoutant à la chaleur résiduelle supplémentaire des milliers de climatiseurs dont les citadins ont besoin pour rester en sécurité par temps chaud.
« Tout cela signifie que nos villes ne se refroidissent pas autant qu’elles le devraient la nuit », explique Ariane Middel. Depuis des années, elle étudie et simule la chaleur urbaine dans le cadre de son groupe de recherche sur le climat, le SHaDe Lab. La majorité de ses travaux se déroulent actuellement à Phoenix, en Arizona, une ville qui pourrait bientôt devenir inhabitable en raison du changement climatique exacerbé par l’effet d’îlot de chaleur urbain.
« C’est un problème dont les responsables des administrations municipales sont de plus en plus conscients. Ce qui manque de clarté en revanche, c’est qui est responsable de relever les défis liés à la chaleur dans nos villes », explique David Hondula. Professeur associé à l’Arizona State University, il dirige aujourd’hui l’Office of Heat Response and Mitigation de Phoenix, le premier bureau de ce type financé par des fonds publics aux États-Unis. Avec son équipe, David Hondula a été spécifiquement chargé de lutter contre la chaleur extrême dans la ville avant qu’il ne soit trop tard. Parmi ses projets récents, on peut citer le programme pilote “Cool Pavement” de la ville, mené en partenariat avec l’Arizona State University, qui a révélé que les revêtements d’asphalte réfléchissants réduisaient les températures moyennes de surface de 10,5 à 12 degrés par rapport à l’asphalte traditionnel à midi et pendant les heures de l’après-midi.
La lutte contre la chaleur extrême est une initiative que l’ensemble des municipalités seraient bien avisées de reproduire, et le plus tôt sera le mieux : d’ici à 2050, la population urbaine devrait plus que doubler par rapport à sa taille actuelle, et près de 7 personnes sur 10 dans le monde vivront dans des villes. En somme, si le changement climatique engendre des vagues de chaleur de plus en plus extrêmes, un nombre beaucoup plus important de communautés seront menacées.
La bonne nouvelle, c’est que les villes relèvent le défi de trouver des solutions interdisciplinaires.
Le mois de septembre 2022 a été marqué par le premier rassemblement des responsables de la chaleur des villes du monde entier, organisé par l’Adrienne Arsht-Rockefeller Foundation Resilience Center de l’Atlantic Council, qui a pris la tête de l’EHRA (« Extreme Heat Resilience Alliance », l’alliance mondiale de résistance contre la chaleur extrême).
Lors de l’événement, le groupe de décideurs, composé exclusivement de femmes, a partagé les défis de l’adaptation aux dures réalités du changement climatique. L’événement a marqué la publication du rapport de l’organisation à but non lucratif “Hot Cities, Chilled Economies : Impacts of Extreme Heat on Global Cities“, qui examine l’impact du réchauffement climatique dans douze grandes zones urbaines. Si certaines villes sont plus avancées en matière de cartographie et d’analyse, elles ont en commun de vouloir développer les infrastructures de refroidissement, notamment les micro-parcs et le couvert forestier.
Le pouvoir de la conception pour atténuer la chaleur
Les municipalités ne sont pas les seules à pouvoir faire la différence ; les architectes et les concepteurs sont de plus en plus sollicités pour atténuer les îlots de chaleur urbains. Ces tâches peuvent aller de l’optimisation de l’orientation d’un bâtiment à quelque chose d’aussi simple que l’ajout de jeux d’eau dans les parcs urbains ou la peinture des toits dans des couleurs plus claires pour qu’ils réfléchissent la chaleur.
La conception passive est un élément clé de l’atténuation de la chaleur. Encourager la ventilation naturelle à l’intérieur des bâtiments, par exemple, peut minimiser l’utilisation de la climatisation et empêcher la chaleur de s’installer pendant les journées ensoleillées. Et il ne s’agit pas seulement de ce qui se passe à l’intérieur des bâtiments : encourager la ventilation naturelle entre les bâtiments a un impact considérable. “Je ne pense pas que beaucoup de gens croient que notre environnement urbain est le meilleur qu’il puisse être”, déclare Hajime Aoyagi, responsable du département de conception chez Nikken Sekkei, un cabinet d’architecture japonais qui se classe au deuxième rang mondial.
Il explique que pour l’équipe de Nikken Sekkei, il est crucial de tenir compte de l’impact sur l’environnement urbain environnant lors de la planification d’un bâtiment. Par exemple, l’utilisation du bois pour l’extérieur, dont la capacité thermique est inférieure à celle du béton et qui n’accumule pas autant la chaleur, pourrait atténuer l’effet d’îlot de chaleur.
“Étant donné que nous sommes un cabinet de design souvent impliqué dans le développement à grande échelle et que nous avons tendance à concevoir des plans pour plusieurs endroits de Tokyo simultanément, nous pouvons concevoir dans une perspective plus large”, explique Aoyagi. “Nous avons participé au développement de la sortie Yaesu de la gare de Tokyo et avons intentionnellement conservé un toit bas sur le hall central afin de créer une route pour le vent de la baie de Tokyo vers les zones intérieures.”
Pour le Dr Middel, créer de l’ombre est le facteur le plus important que les architectes doivent prendre en compte dans la conception des villes d’aujourd’hui. “Lorsque vous examinez comment les gens ressentent la chaleur, il ne s’agit pas seulement de la température de l’air”, dit-elle. “Il faut également tenir compte de la température radiante, qui est la façon dont nous mesurons la charge thermique du corps humain. La disponibilité de l’ombre est un facteur déterminant. Si vous êtes à l’ombre, vous vous sentez beaucoup plus à l’aise que si vous êtes au soleil, quelle que soit la provenance de l’ombre. Cela signifie que les architectes devraient utiliser des bâtiments, des arbres ou même des auvents photovoltaïques pour créer de l’ombre partout où cela est possible.”
Ne pas le faire est une stratégie risquée. Alors que de plus en plus de certifications de bâtiments, comme LEED, et de directives, comme les directives de confort thermique de Londres, commencent à récompenser les mesures de réduction de la chaleur, ne pas prendre en compte la chaleur d’une ville peut entraîner une modernisation coûteuse dans plusieurs années.
À court terme, cela pourrait même conduire à ce que les conceptions urbaines soient purement et simplement ignorées. “Nous avons eu un projet avec un parc très populaire qui a été redessiné pour avoir ce chemin qui y mène”, explique le Dr Middel. “Cela signifiait que les habitants du quartier n’auraient pas à prendre leur voiture pour se rendre au parc. C’est une bonne idée, non ? Il s’est avéré que personne n’utilisait ce chemin. Il ne fonctionnait pas comme les architectes de la ville l’avaient prévu, et lorsque nous avons mesuré les conditions de chaleur avec nos instruments métrologiques, nous avons compris pourquoi. Il n’y avait aucune ombre, et il était très pénible de l’emprunter. Et réparer ce problème serait bien trop long et coûteux.”
Le rôle de la technologie
La technologie d’analyse du microclimat peut contribuer à réduire les incertitudes liées à la conception d’un projet visant à atténuer l’effet d’îlot de chaleur. “La technologie peut vous aider à exécuter des scénarios, par exemple pour savoir où planter des arbres afin qu’ils aient un effet maximal sur la chaleur”, explique le Dr Middel. “Vous n’avez plus besoin de les planter sur place, puis de voir ce qui se passe. Vous pouvez d’abord simuler le tout sur un ordinateur.”
Grâce à des outils comme Autodesk Spacemaker, par exemple, les architectes et les urbanistes peuvent créer des simulations et tester facilement des stratégies d’atténuation pendant les phases de planification et de conception. Des cartes de confort thermique peuvent être créées pour une date et une heure spécifiques afin que chacun puisse voir comment un site réagira à des températures extrêmes. Des cartes de chaleur peuvent être générées pour montrer exactement quand les espaces extérieurs, comme les parkings, seront les plus et les moins utilisables pendant la journée. Ensemble, ces types de technologies peuvent garantir que les villes sont développées pour être plus fraîches, aussi rapidement et efficacement que possible.
“La chose la plus importante est d’agir maintenant. La chaleur n’est un problème isolé pour personne”, déclare M. Hondula. “Nous devons prendre des mesures dès aujourd’hui, car la ville de 30 ou 40 ans dans le futur sera en grande partie façonnée par les décisions que nous prendrons au cours des cinq à dix prochaines années”. Grâce au déploiement généralisé de technologies de refroidissement telles que les arbres et les surfaces réfléchissantes, certaines modélisations suggèrent que nous pourrions nous retrouver dans le futur avec une ville plus fraîche que celle d’aujourd’hui, même si le réchauffement planétaire se poursuit. C’est un signe très encourageant.”