Qu’est-ce que la géotechnique, et pourquoi est-ce si important pour les fondations ?
La Millennium Tower, de San Francisco, qui penche et s’enfonce, est l’un des exemples les plus récents et les plus patents d’un défi courant dans la réalisation de fondations de grande envergure : l’analyse géotechnique souterraine.
L’affaissement de la tour a fait l’objet de nombreux débats, souvent houleux : comment une structure aussi coûteuse a-t-elle pu s’enfoncer de 40 cm en sept ans ? Est-ce la faute de la maîtrise d’ouvrage, qui aurait commandé des fondations insuffisantes ou l’affaissement a-t-il été causé par l’assèchement du site voisin, le Transbay Transit Center ?
Récemment, le syndicat des propriétaires de la tour a lancé une enquête, avec l’aide de géotechniciens, pour en déterminer la cause. Vu l’importance de l’affaire, beaucoup s’interrogent : qu’est-ce que la géotechnique, et pourquoi est-elle primordiale ?
Selon l’Union syndicale géotechnique, « la géotechnique est l’ensemble des activités liées aux applications de la mécanique des sols, de la mécanique des roches et de la géologie de l’ingénieur. » Et comme l’indiquait l’ancien rapport du Bureau national américain de développement économique, intitulé Faster building for commerce (« Des chantiers plus rapides pour le commerce »), la nature imprévue du sous-sol constitue l’une des causes du non-respect des budgets pour plus d’un tiers des chantiers. Mais grâce à leurs analyses de la mécanique des sols et de la roche, les géotechniciens peuvent éviter des problèmes majeurs, voire des catastrophes.
Heureusement, le développement de la modélisation numérique des bâtiments (BIM) devrait faire des données géotechniques un facteur incontournable dès les premières phases de conception de la mise en œuvre du sous-sol. « En fait, notre tâche consiste à faire en sorte que les concepteurs aient plus facilement accès aux quantités de données géotechniques existantes, dès le début du projet », explique Roger Chandler, directeur général et co-fondateur de Keynetix, une agence britannique de gestion de données qui se spécialise dans les domaines géotechnique et géoenvironnemental.
Roger Chandler et l’autre cofondateur de Keynetix, Gary Morin, qui en est aussi le directeur technique, vantent les mérites d’une solution simple et peu coûteuse, pour se prémunir des problèmes géotechniques. « De nombreuses organisations, privées ou publiques, disposent déjà de quantité de données issues de sondages et d’autres études de sol, observe Gary Morin, mais le format de ces données, des rapports en PDF ou des calques SIG, est très peu utilisable et la seule recherche de ces données peut s’avérer difficile, sans même parler de l’étape suivante, qui consiste à les mettre en forme pour que les ingénieurs et les autres experts puissent s’en servir. C’est dommage, car il faut reconnaître que les sondages coûtent cher. »
Pour Gary Morin et Roger Chandler, le sous-sol des chantiers et de leurs abords recèle véritablement un « trésor enfoui », sous la forme de données géotechniques onéreuses qui ont déjà été collectées. Tout ce qu’il manque maintenant, c’est une meilleure carte au trésor.
Pour des raisons évidentes, les premières utilisations des techniques 3D de CAO se concentraient sur les bâtiments, le « b » de la BIM. Les bâtiments, les ponts, les tunnels, les barrages et les autres infrastructures sont relativement faciles à visualiser et à dimensionner, et leur modélisation ne présente pas de difficulté particulière. Ils constituent la partie visible de l’iceberg des substructures. Mais comme pour les icebergs, la superstructure repose sur une énorme substructure faite de réseaux, de fondations, de systèmes de drainage et de sols.
Au fur et à mesure que les capacités de la modélisation numérique progressent, davantage de questions géotechniques essentielles sont intégrées à la modélisation conceptuelle. Les visualisations précises des réseaux souterrains, par exemple, n’ont plus rien d’exceptionnel, même dans les maquettes d’avant-projet, voire dans les premières esquisses.
Les travaux de Keynetix se situent aux limites actuelles de la modélisation numérique : ils génèrent des visualisations de données de sous-sol tirées principalement de forages potentiellement profonds et coûteux. Le projet du tunnel de Silvertown de Transport for London, par exemple, s’appuie sur leurs études.
« Il s’agit d’un projet de tunnel sous la Tamise, dans une zone fortement industrialisée, où la nature du sol joue évidemment un rôle crucial, commente Gary Morin. Les ingénieurs d’Atkins, qui travaillent sur les esquisses de ce projet savaient qu’ils disposaient déjà de données de sondage et notre logiciel les a aidés à les exploiter utilement. »
La visualisation a mis en évidence certaines contraintes potentielles majeures, liées notamment aux fondations des pylônes du téléphérique Emirates Air Line, situés sur les rives nord et sud, à l’ancienne rade Royal Victoria, qui est maintenant partiellement comblée, aux fondations de plusieurs usines à gaz qui ont été démolies et dont on sait qu’elles ont contaminé le sol.
Paradoxalement, les conditions qui exigeaient des données de sondage rendaient également le forage de nouveaux échantillons coûteux et difficiles du point de vue logistique. Par conséquent, tout ce qu’Atkins pouvait faire pour exploiter les données existantes concernant le sous-sol et réduire le nombre de nouveaux sondages requis, participerait forcément à la réduction des coûts et accélérerait le calendrier du chantier. Pour ce faire, Atkins a employé une méthode en deux temps :
1. Collecte de toutes les données géotechniques disponibles. Il s’agissait notamment de collecter les données de projets antérieurs dont Atkins disposait dans des formats peu utilisables (comme des rapports en PDF), mais aussi d’identifier et d’intégrer des données provenant de sources historiques et publiques, comme la cartographie ancienne. L’un des objectifs de cette phase était de transférer les données géotechniques vers des formats déjà existants.
« Pour ce qui est des données géotechniques, le Royaume-Uni compte parmi les pays qui peuvent s’appuyer sur des normes agréées établies, remarque Gary Morin. Ici, l’Association des experts géotechniques et géoenvironnementaux (AGS en anglais) a fait un excellent travail et aux États-Unis, le format d’échange de données des experts géotechniques et géoenvironnementaux (DIGGS en anglais) est en passe de devenir le format de prédilection. Les formats des deux organismes permettent le transfert de données géotechniques et géo-environnementales au sein des organisations et entre elles. »
2. Présentation des données géotechniques dans des visualisations facile à interpréter. Ici, l’innovation importante était une maquette numérique très complète qui montrait toutes les caractéristiques connues du sous-sol existant. Le logiciel AutoCAD Civil 3D d’Autodesk a été utilisé pour modéliser et visualiser les fondations existantes du téléphérique en même temps que les données modélisées des fondations des anciennes usines à gaz, des entrepôts, des quais et de l’entrée de l’ancienne rade. Compilée aux données d’alignement du tunnel projeté et des autres structures y ayant trait, l’information obtenue a été partagée avec les autres membres de l’équipe par le biais d’Autodesk Navisworks.
L’équipe de projet d’Atkins a également fait appel au logiciel de Keynetix pour tenir compte des paramètres géotechniques, essentiellement issus des sondages. « Leur méthode et notre logiciel ont permis d’intégrer directement les tâches de gestion des données dans la modélisation, précise Gary Morin. Cela a permis de visualiser les données géotechniques dans la maquette 3D du sol. Les ingénieurs d’Atkins ont pu les organiser et les gérer et les combiner rapidement à l’agencement des structures existantes et projetées, ce qui a amélioré leur connaissance du site.
Le logiciel de gestion des données géotechniques de Keynetix a contribué concrètement aux études préliminaires pour le tunnel de Silvertown, en particulier, au choix judicieux de seulement trois nouveaux sondages, alors que les ingénieurs d’Atkins auraient pu en nécessiter, potentiellement, des dizaines. Compte tenu des coûts de l’analyse géotechnique dans les zones densément développées, la modélisation numérique des sous-sols s’est avérée être une carte au trésor inestimable… qui permet d’éviter tous les sables mouvants.