80 sextillions variations de produits, vous dites? Grâce à l’IA, c’est possible
- Au Japon, l’industrie manufacturière est encore tributaire de méthodes basées sur le papier pour l’approvisionnement en pièces détachées.
- L’entreprise japonaise MISUMI utilise l’IA dans un processus unique de fabrication sur commande pour les 80 sextillions de produits de son catalogue.
- La transformation numérique des chaînes d’approvisionnement, vitale pendant la pandémie, augmente la productivité de l’industrie manufacturière.
Le mot « catalogue » peut faire penser à un ouvrage désuet que des entreprises envoyaient par la poste avant l’émergence d’internet (bien qu’il se pourrait que les catalogues fassent leur retour). Mais dans le secteur de l’industrie, les catalogues peuvent être très élaborés, surtout avec l’intelligence artificielle (IA).
Il y a 40 ans, l’entreprise japonaise MISUMI se lançait dans la vente de pièces détachées, de moules, d’outils d’inspection et d’équipements d’usines via la vente par catalogue. À l’époque, leur manière de produire une telle variété de pièces standardisées, d’en donner une description précise accompagnée des prix et des délais de livraison fixes était une véritable innovation. En réduisant ainsi considérablement le temps de travail nécessaire pour dessiner des plans sur papier et générer des devis, MISUMI est rapidement devenu l’infrastructure sociale de la fabrication industrielle.
Aujourd’hui, MISUMI augmente encore sa productivité grâce à la vente par catalogue. La clé de son succès repose sur un processus unique de fabrication sur commande qui lui permet de proposer 80 sextillions (80 milliards de trillions) de variations de produits, et sur une chaîne d’approvisionnement capable d’expédier 200 000 commandes par jour. Et si l’idée d’un catalogue répertoriant 80 sextillions de produits peut sembler fantaisiste, le catalogue actuel ne couvre en réalité que la moitié des besoins des clients.
« MISUMI a mis à profit ses longues années d’expérience en R&D pour prendre une nouvelle direction, déclare Mitsunobu Yoshida, directeur de MISUMI et président de la société ID (Industrial Digital) Manufacturing Business Company. L’idée d’un catalogue a été affiné pour proposer aux clients de nombreuses variations de mêmes produits. L’étape suivante a consisté à leur permettre de télécharger leurs propres données de conception et de recevoir une estimation des coûts et délais de fabrication. Ce concept, qui est devenu le service meviy, donne aux clients la possibilité de créer les pièces dont ils ont besoin au lieu d’avoir à faire un choix parmi une offre donnée. »
Un secteur prêt pour la transformation
L’industrie manufacturière représente 20 % du produit intérieur brut du Japon, et selon Mitsunobu Yoshida, 270 produits fabriqués par des entreprises japonaises détiennent une part mondiale de plus de 60 %. . Selon le « Livre blanc sur la fabrication industrielle » publié en 2019 par le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, c’est deux fois plus que les États-Unis, et cinq fois plus que la Chine. « Cela montre que le Japon reste très compétitif sur le marché mondial, affirme Mitsunobu Yoshida. Cependant, avec la diminution du nombre de travailleurs, la pénurie de personnel et les réformes du droit du travail qui mettent à mal les petites et moyennes entreprises, le secteur industriel japonais connaît de nombreuses fermetures. »
L’industrie de la fabrication au Japon gagne en productivité grâce à la digitalisation, avec l’automatisation de la conception CAO/CAE, la fabrication automatisée à l’aide de robots, et la croissance des canaux de vente en ligne. « Toutefois, la chaîne d’approvisionnement indique que le papier et les télécopies dominent toujours le paysage, explique Mitsunobu Yoshida. Une récente étude indépendante a révélé que 98 % des services d’approvisionnement utilisent encore le fax pour prendre des commandes. Les méthodes actuelles freinent désormais les gains de productivité de l’ensemble du secteur. »
Mitsunobu Yoshida prend pour exemple une machine de 1 500 pièces : si chaque pièce nécessite 30 minutes de dessin, cela représente 750 heures de travail, auxquelles s’en ajoutent 25 pour approuver et faxer les dessins. Enfin, il faut compter une semaine pour générer un devis, et deux autres semaines pour la livraison. L’ensemble du processus d’approvisionnement peut donc prendre 1 000 heures, soit 125 jours. « Il va sans dire que cela constitue une énorme perte de temps », déplore Mitsunobu Yoshida.
Une fabrication améliorée grâce à l’IA
En 2016, le lancement du système meviy a déclenché une véritable révolution numérique dans le secteur de l’approvisionnement en pièces détachées. Selon Mitsunobu Yoshida, deux innovations clés sont à l’origine de son succès : les devis générés par l’IA et les avantages que l’artisanat numérique apporte à la production sur commande.
En ce qui concerne les devis générés par l’IA, Mitsunobu Yoshida explique qu’ « avant, un ingénieur devait prendre le temps d’examiner une commande et de déterminer les heures de travail nécessaires pour usiner et percer des trous dans une pièce donnée. Désormais, le client télécharge sa conception 3D et l’IA calcule automatiquement les coûts et les délais de livraison en quelques secondes. »
L’interface meviy répercute immédiatement le coût de toute modification de matériaux ou de finitions. Le système détermine ensuite les autres prérequis d’usinage, par exemple, si les trous sont de simples ouvertures ou s’ils sont filetés afin de recevoir des vis. On peut effectuer des modifications tels que les réglages de tolérance en un clin d’œil. Les exigences de production sont également examinées pour s’assurer que les commandes peuvent être fabriquées correctement.
Cependant, un autre problème se profile à l’horizon : « nous sommes confrontés à une perte de transmission du savoir-faire technique entre générations d’ingénieurs, explique Mitsunobu Yoshida. La documentation, les vidéos et les manuels ne font pas tout. Nous avons constaté dans les entreprises qui utilisent meviy que ce service aide les concepteurs dans leur travail. En particulier de nos jours, avec la pandémie de coronavirus, le personnel junior ne peut pas travailler aux côtés d’ingénieurs plus expérimentés. L’aide apportée par meviy est donc inestimable. »
L’innovation grâce à la fabrication numérique
La deuxième innovation du système meviy consiste à introduire l’artisanat numérique dans la chaîne de production sur commande. « Étant donné que le système génère et envoie automatiquement le programme d’usinage à l’atelier, le processus ne nécessite presque aucune intervention humaine entre la conception et la production, explique Mitsunobu Yoshida. Cela signifie qu’une pièce peut être usinée et expédiée le jour suivant sa commande. Je ne suis pas sûr qu’il existe, dans le monde, un autre service capable de faire cela. »
meviy offre un service de prototypage rapide pour la conception de produits ainsi qu’un service de fabrication automatique de composants mécaniques, comme les composants métalliques et les plaques d’usinage. Le système était prêt en 2019 et meviy compte aujourd’hui plus de 55 000 utilisateurs. Mitsunobu Yoshida précise que plus de 5,3 millions de maquettes CAO ont été téléchargées dans de nombreux secteurs, allant des fabricants d’automobiles, de machines et d’électronique aux fournisseurs d’équipements chimiques et médicaux.
L’automatisation profite à tous les niveaux de la fabrication
meviy permet un fonctionnement sans plans ni devis, ce qui rationalise le processus de fabrication. Si l’on reprend l’exemple précédent de l’approvisionnement d’une machine comportant 1 500 pièces, il ne faut plus que 80 heures pour l’approvisionner, contre 1 000 auparavant, ce qui représente 92 % de temps en moins et une amélioration radicale de la productivité.
Les utilisateurs peuvent s’inscrire gratuitement à meviy et commencer à l’utiliser immédiatement. Différents formats CAO 3D natifs sont pris en charge, notamment Inventor d’Autodesk, ainsi que les formats intermédiaires, tels que STEP. Les utilisateurs peuvent recourir à la CAO 3D dans leur travail, quel que soit le type ou la taille des pièces dont ils ont besoin.
Les utilisateurs sont largement satisfaits, faisant état d’une réduction considérable du travail et des délais d’exécution. « Nos clients nous disent que le temps nécessaire à une seul cycle de développement est divisé par deux ou par trois, améliorant ainsi la qualité, résume Mitsunobu Yoshida. Dans de nombreux cas, les utilisateurs signalent que la suppression de la paperasserie a réduit les frais généraux et amélioré la productivité. »
Au cours de l’été 2020, MISUMI a mené une enquête auprès de petites et moyennes entreprises : « avec la pandémie et les tensions entre les États-Unis et la Chine, seuls 20 % des entreprises ont enregistré une croissance au cours des deux dernières années, précise-t-il. La plus grande différence entre les entreprises en croissance et les autres réside dans leur capacité à adopter les outils numériques tels que Zoom et Teams. »
Selon Mitsunobu Yoshida, outre une utilisation efficace du temps, il est tout aussi important de faire un travail à forte valeur ajoutée. Il peut être difficile de mettre en œuvre la transformation numérique et l’automatisation de manière efficace. « Nous devons également changer notre façon de penser. Pour l’instant, meviy est un outil utile pour gagner en productivité dans la fabrication. Nous avons l’intention d’étendre ce service à d’autres applications tout en améliorant son interface et l’expérience utilisateur. Nous prévoyons également, dans les années à venir, de nous tourner vers l’international, donc gardez l’oreille ouverte », conclut Mitsunobu Yoshida.