Une université allemande développe les futurs outils numériques du BTP à grand renfort de robots
Cette année, l’un des principaux centres de formation pour ingénieurs, architectes et informaticiens d’Allemagne fête ses 150 printemps. En guise de cadeau, le campus en question a inauguré un chantier connecté simulant les conditions réelles de construction pour tester les outils numériques de demain. Rencontre avec la professeure Sigrid Brell-Cokcan, spécialiste de la robotique à l’usage du BTP à l’initiative du projet.
L’Université technique de Rhénanie-Westphalie Aix-la-Chapelle (RWTH Aachen), membre de l’Initiative d’excellence des universités allemandes, souffle ses 150 bougies cette année. Architecte autrichienne et professeure, Sigrid Brell-Cokcan est une des figures de proue de ce projet de chantier innovant dans lequel elle s’est investie dès les débuts et alors qu’elle travaillait encore pour des agences de renommée mondiale à l’instar de Coop Himmelb(l)au et Bollinger + Grohmann sur des projets tels que le centre d’exposition BMW Welt à Munich ou encore le musée d’arts de Graz.
Sigrid Brell-Cokcan a été témoin de la transformation numérique de l’architecture et travaille avec les robots depuis plus de quinze ans. En 2010, l’architecte a fondé l’association Robots in Architecture, le plus grand réseau créatif mondial à promouvoir les robots industriels dans l’architecture, le design et les arts.
À présent directrice de la production personnalisée à l’Université d’Aix-la-Chapelle, elle n’a pas pour autant rompu le lien avec le milieu. Depuis la création du centre Construction Robotics sur le campus de la RWTH en 2018, elle œuvre à la recherche de nouvelles technologies pour le BTP avec des étudiants en licence et en master et des partenaires industriels européens. En février 2020, la professeure a inauguré avec ses collègues un nouveau chantier : un espace ouvert de 9 290 m2 destiné à tester des solutions innovantes et durables pour le bâtiment.
« C’est un chantier connecté et numérique, explique Sigrid Brell-Cokcan. L’objet de notre recherche porte sur des systèmes d’assistance qui permettent aux différents acteurs de se concentrer sur leur travail, pour rendre le secteur du bâtiment plus sûr et plus innovant, et la profession plus attrayante. » L’idée comporte un espace extérieur pour la fabrication avec 24 containers mis à la disposition des entreprises, des start-up, des institutions publiques et des instituts de recherche.
Le chantier mettra également à profit la logistique numérique pour la gestion de l’organisation des chantiers, ainsi que la résolution des tracas du quotidien tels que les outils mal rangés, les erreurs de livraison de pièces, et les matériaux manquants. La fabrication additive est un autre des principaux domaines de recherche au centre, et certains étudiants ont déjà remporté des prix pour des projets d’impression 3D conçus sur place.
Ce chantier vise également à aider les prestataires des autres secteurs à reconnaître le potentiel pour le bâtiment. Bien que l’Allemagne soit centrée sur la production automobile, l’expertise est transférable.
L’université a établi des partenariats avec des entreprises réputées dans l’industrie, telles qu’Eiffage, Porr, Liebherr Tower Cranes, Leonhard-Weiss, Hilti et Autodesk. « Le chantier est une opportunité parfaite pour fusionner les connaissances de l’industrie et de la recherche, ajoute Sigrid Brell-Cokcan. Le fait que ce soit un véritable laboratoire est un avantage qui profite aux deux parties. »
L’université espère que ce projet agira comme catalyseur en Europe et contribuera à effacer les frontières dans le monde entier. « Ce qui rend l’Europe plus forte dans le secteur du BTP, ce sont les processus et les solutions personnalisées, précise encore la spécialiste en robotique. Aux États-Unis, ce sont les données, et en Chine, les produits. Et aussi longtemps que nous, en tant que propriétaires des brevets, maîtrisons le développement des outils et des processus aussi bien en matière de données que de produits, l’Europe sera en mesure de maintenir sa position de force. »
Et pour augmenter davantage la portée des processus, le groupe de chercheurs analysera les flux d’informations du BTP afin de déterminer les liens entre les différents acteurs. Par ailleurs, Sigrid Brell-Cokcan relève que ce dernier point lui donne encore du fil à retordre : 10 % seulement des données recueillies auprès des entreprises du BTP parviennent jusqu’au chantier, et seulement 1 % de ces données arrive jusqu’aux architectes. En effet, l’échange des informations se fait encore par fax, courriel ou sur papier, ce qui engendre énormément de perte ou amène l’équipe de chercheurs à renouveler l’opération.
Et en raison de la lente mise en œuvre du numérique sur les chantiers, ces problèmes sont récurrents. Le ministère fédéral de l’Éducation et de la Recherche allemand (BMBF) a de ce fait financé un projet de recherche appelé Internet of Construction ; Sigrid Brell-Cokcan souhaite l’utiliser pour déterminer quelles informations existent déjà sous forme numérique, quelles plateformes sont utilisées et comment améliorer la collaboration.
Mais son opinion sur les mégadonnées est plus mitigée. « Nous devrions plutôt nous concentrer sur les données de qualité et ne recueillir que ce qui est important. Cela représenterait un gain de temps important et améliorerait les capacités des plateformes, le tout en optimisant les processus. »
En plus de cela, le centre Construction Robotics est partenaire du programme Technolgy Impact d’Autodesk. « Impact » se rapporte à divers traits, dont la durabilité : un consortium de la RWTH, présidé par la faculté d’ingénierie mécanique, souhaite réduire la consommation carbone du BTP, à partir de recherches du Fuel Science Center (FSC).
Le centre conduit également des recherches pour déterminer comment le secteur pourrait regrouper et recycler les polluants, comment utiliser et déposer ces matériaux au cours de leur cycle de vie et enfin, comment l’économie circulaire pourrait rendre le BTP plus respectueux de l’environnement.
Sigrid Brell-Cokcan entretient l’espoir que le chantier rapprochera divers départements de l’université. À cette fin, un nouveau programme de master en anglais en construction et en robotique (CR) commencera cette année et réunira des étudiants de licence en ingénierie mécanique, en sciences informatiques, en génie civil et en architecture. Le chantier-laboratoire sera un champ d’expérimentation pour les étudiants dans leur quête de définition de leur future profession dans le secteur du bâtiment numérique.
En effet, de nouvelles professions émergent, et les professions traditionnelles sont en évolution : le BTP se tourne vers le numérique pour assurer sa survie. « Selon nous, tout le secteur du bâtiment sera soumis à des changements considérables dans les dix à vingt prochaines années », précise la directrice du centre Construction Robotics. Les outils se démocratisent, de sorte que tout le monde sera en mesure de construire. Son but est de fabriquer des outils « aussi faciles d’utilisation que possible et accessible à tous, comme un smartphone », afin de garantir que le numérique décuple la créativité des architectes.
Enfin et surtout, Sigrid Brell-Cokcan souhaite intégrer le potentiel créatif du secteur du bâtiment dans la recherche et espère que les architectes seront les artisans du changement. « Il est très important que nous, architectes, soyons au cœur des projets de conception des processus d’automatisation dans le bâtiment. La technologie est un outil, voyons comment notre esprit créatif saura l’exploiter. »