Sports extrêmes : la protection dorsale qui se porte comme une seconde peau
Dans le premier épisode de la série américaine Friday Night Lights, un lycéen dans l’équipe de football américain souffre d’une lésion médullaire paralysante pendant le match. Au milieu du chaos qui s’ensuit, Coach Taylor déclare sur un ton prophétique : « La vie est infiniment fragile. Nous sommes tous aussi vulnérables les uns que les autres, et chacun de nous, un jour, tombera. C’est inévitable. »
Selon un article de 2016 tiré du Journal of Spinal Cord Medicine, des chercheurs ont identifié les pays avec le taux le plus élevé d’incidence de lésions médullaires liées au sport, soit la Russie, les Fiji, la Nouvelle-Zélande, l’Islande, la France et le Canada, et les sports les plus dangereux que sont la plongée, le ski, le rugby et l’équitation. En dépit des nombreuses réglementations mondiales sur le port du casque obligatoire pour le ski, le vélo et la moto, il n’existe presque aucune règle concernant les protections dorsales ni recommandation d’utilisation pour certaines activités sportives.
La plupart des protections dorsales sont fabriquées pour les motards et varient entre les ceintures ou les armures qui entravent les mouvements ou absorbent les chocs. Mais un nouveau projet est né à Graz, en Autriche : le système Rotational Spine Protection (RSP), une protection dorsale qui se porte comme une seconde peau, munie de lanières et de boucles ajustées au corps qui verrouillent l’amplitude du mouvement de manière à protéger celui qui la porte. Si la rotation de la colonne dépasse la zone critique, les lanières de serrage bloquent et absorbent l’excès de force de rotation.
Thomas Saier, directeur et cofondateur d’Edera Safety, le bureau d’études qui a créé le système RSP, a étudié des rapports médicaux de blessures médullaires, déterminant quand et comment elles s’étaient produites, ainsi que leur type. Travaillant sous la marque adamsfour, l’équipe s’est concentrée sur les blessures de rotation, cinq fois plus courantes que les impacts directs sur la colonne.
« C’est une blessure biomécanique, explique Thomas Saier. L’amplitude des mouvements est exagérée. Les blessures surviennent lorsque la force de rotation de la moelle, qui est au centre de la colonne vertébrale, est tordue ou arrachée. »
La mécanique du corps
La première étape a consisté à identifier où les forces potentiellement dangereuses s’exercent sur la colonne, lorsque le corps bouge de façon extrême ou soudaine. L’équipe a dû créer son propre mannequin de simulation d’impact équipé de capteurs, avec une colonne vertébrale qui puisse imiter la torsion naturelle, afin de lui appliquer des forces de rotation dans chaque direction et de recueillir les données.
L’équipe s’est concentrée sur les vertèbres reliant les zones lombaires et thoraciques, et lombaires et cervicales où se situent généralement les rotations, mais aussi les blessures. Aidée de l’Institut d’anatomie de l’Université de Graz, l’équipe a procédé à des tests de rotations et réalisé des relevés 3D sur les colonnes vertébrales de dépouilles afin de compléter leurs données sur la marge biomécanique de la colonne.
Autre découverte fondamentale, la colonne vertébrale présente des limites naturelles autour de deux types de mouvements : ceux liés au travail de la musculature, et ceux où les jonctions entre les os (dont les vertèbres) amortissent la pression. Le corps humain atteint 60 % de son amplitude de mouvements avec la force musculaire, et le reste est pris en charge passivement par le mouvement des os, telle que la torsion de la colonne.
Il s’agissait, sans restreindre le mouvement actif des muscles, d’appuyer sur un frein lorsque le mouvement passif des os devient excessif. Lorsque la colonne atteint cette phase critique, le système RSP absorbe les forces qui en résultent.
Une nouvelle génération
Étape numéro deux, il fallait mettre toutes les données sur le mouvement de la colonne en pratique, en concevant un système apte à restreindre l’énergie et les forces, sans qu’on ait la sensation de porter une armure.
C’est à ce stade qu’intervient la conception générative. Thomas Saier connaissait le travail d’Autodesk de 2016 avec Hack Rod, une voiture de course équipée d’un châssis créé par conception générative. C’est ainsi qu’il a pensé à l’utiliser pour le projet RSP. « Sur le banc d’essai, on ne peut simuler qu’un seul type de mouvement, explique-t-il. Or le sport est une chose très complexe qui implique de nombreuses variations de mouvements ; en fait on ne peut pas savoir quelles forces, rotation ou perturbation ont lieu dans le système jusqu’à l’intervention du choc. »
Avec la simulation enrichie de données en temps réel de Fusion 360 d’Autodesk, adamsfour a pu mettre au point un prototype. L’équipe l’a lancé en intégrant plus de capteurs ainsi qu’une application pour mesurer et enregistrer avec précision les forces en question, puis les rentrer dans l’algorithme de conception générative.
Pour René Stiegler, ingénieur et sportif de service chez adamsfour, l’étape suivante consistait à travailler sur les géométries du processus de conception générative afin de trouver les meilleures solutions. « Les résultats que nous avons obtenus étaient un peu trop extrêmes pour en faire un produit prêt à la vente, commente-t-il. Par souci d’ergonomie, le produit se doit de rester conforme à ce que les utilisateurs auront réellement envie de porter. »
Le système RSP est une technologie B2B qu’adamsfour vendra en kit à d’autres fabricants afin qu’ils l’incorporent dans leurs propres produits. Bien qu’adamsfour en soit à l’étape de la préproduction, des contrats sont déjà presque conclus avec trois grandes marques de vêtements de sport.
« En fonction des contraintes, de nombreuses propositions structurelles sont générées, raconte Thomas Saier. La conception générative produit une image clé et le produit définitif que nous avons entre les mains est basé sur cette géométrie. Ajoutez-y votre savoir-faire intuitif et les compétences de développement de l’équipe de conception et vous obtenez un produit prêt à la vente. »
Un des avantages de ce processus est la réduction du matériau nécessaire, en fonction des calculs du système destinés à placer les lignes de forces et d’énergies appliquées au corps. « Grâce à ce processus, pas d’excédent de matériau ou de poids plus lourd, ajoute René Stiegler. On obtient ainsi des réponses sur les forces à prendre en charge ou sur l’épaisseur du matériau. Ensuite c’est à vous de le placer sur le produit final comme bon vous semble. En fait, c’est comme un squelette autour duquel on construit le système. »
La phase suivante consiste à équiper encore plus de cyclistes avec plus de capteurs, ce qui produira plus de précision et servira encore une fois à alimenter le design afin d’en affiner la topologie.
En pratique
Après toutes ces simulations, ces analyses de données et ces ajustements, que nous disent ces expériences utilisateur ? Le dispositif est-il facile à enfiler, confortable et efficace ?
Le choix du matériau a été essentiel. Il fallait pouvoir le couper et le mettre en forme sans perdre sa force intrinsèque. De même, la friction avec la surface de la peau et les vêtements ne devait pas poser de problème. Admettons que le dispositif glisse au contact d’un tissu soyeux ou de la sueur, cela voudrait dire que la restriction ne serait pas suffisante. La solution fut le « caoutchouc synthétique de polyéthylène chlorosulfoné » qui ressemble au matériau utilisé pour les canots pneumatiques.
« C’est confortable à porter, explique Dominik Doppelhofer, cycliste de descente et testeur pour adamsfour. Par rapport à d’autres protections dorsales, elle est un peu différente à l’enfilage : il faut certes l’ajuster correctement de façon à la porter comme une seconde peau, mais le résultat est probant. »
Peut-être vous sentirez-vous, bientôt, mieux protégé contre les torsions un peu trop brutales de la colonne vertébrale ; il ne vous restera plus qu’à remercier la recherche anatomique, la conception générative et une petite entreprise autrichienne pour son travail remarquable.