À Auckland, l’avenir des transports en commun passe par le numérique
Le secteur des transports en commun fait partie de ceux qui ont le plus souffert de la crise sanitaire. En période de confinement, le pilier des grandes métropoles du monde entier a fait face à une fréquentation en chute libre. Néanmoins, ce ralentissement a également été le moment propice pour certains d’accélérer la remise à niveau des infrastructures et pour d’autres, de mettre en œuvre leur plan de relance. En route pour la Nouvelle-Zélande où la ville d’Auckland avance à pas de géant dans la rénovation de ses infrastructures de transports en commun.
Pour envisager les transports en commun du futur, Auckland est en train de créer sa plus ambitieuse infrastructure de transport jamais réalisée : le projet City Rail Link (CRL). Ce métro souterrain à deux tunnels de 3,45 km de long sera raccordé aux lignes existantes du réseau ferroviaire de la ville et permettra ainsi de doubler sa capacité en reliant plus de quartiers afin de raccourcir les temps de trajet, de désengorger le trafic routier, et de réduire la pression sur le système de bus déjà surchargé.
À la tête de la conception et de la construction des principaux tunnels et contrats de stations CRL se trouve Link Alliance, un consortium composé d’entreprises locales et internationales dotées d’une vaste expérience dans la réalisation de projets d’infrastructure à grande échelle.
Lauréat du Prix AEC Excellence Awards 2020 d’Autodesk dans la catégorie grand projet d’infrastructure, l’Alliance comprend la société VINCI Construction Grands Projets comme mandataire, Soletanche Bachy, une société française d’infrastructures géotechniques et filiale de VINCI possédant des bureaux en Nouvelle-Zélande, l’entreprise de services intégrés Downer, les entreprises d’infrastructures WSP et AECOM New Zealand, le cabinet-conseil en environnement et ingénierie néo-zélandais Tonkin + Taylor, et City Rail Link Limited (CRLL).
Après avoir remporté le contrat du lot 3 concernant l’extension du réseau ferroviaire, la création de deux nouvelles stations et le réaménagement d’une troisième en 2019, VINCI a annoncé en octobre 2020 la signature de deux nouveaux contrats pour ce projet de grande envergure. La date de livraison de l’ensemble des lots remportés par le groupement est estimée à 2024.
« C’est la première fois que je travaille au sein d’une alliance, mais je pense qu’il s’agit du modèle contractuel qui convient le mieux à un projet de cette envergure parce qu’il favorise la collaboration à un point que je n’aurais jamais pu imaginer, avoue Brice Gaudin, responsable BIM (Building Information Modeling) de Link Alliance. Nous œuvrons tous à atteindre les mêmes objectifs et à satisfaire les mêmes exigences, et nous apprenons des tas de choses chemin faisant. »
Un concept en gestation depuis 100 ans
L’idée d’un métro souterrain à Auckland remonte aux années vingt, mais c’est en 2012 que le projet s’est mis en branle. Avec ses 1,5 million d’habitants, la ville représente la zone urbaine la plus grande et la plus densément peuplée du pays. Les transports en commun sont de plus en plus prisés par ses usagers : en 2019, Auckland enregistrait 100 millions de trajets, un chiffre qui n’avait pas été constaté depuis les années cinquante, à l’époque où les tramways fonctionnaient à plein régime dans la ville. Actuellement, environ 20 % des déplacements en transport en commun sont effectués en train. Par ailleurs, on estime que la population d’Auckland atteindra 2 millions d’habitants d’ici 2033.
En attendant, les travaux de construction de deux nouvelles stations avancent : Aotea sur Albert Street et Karangahape sur Karangahape Road. En outre, on prévoit des travaux d’aménagement à la station Mount Eden afin de relier la Western Line au CRL et à la gare de Britomart, pour convertir cette station en bout de ligne en un nœud ferroviaire à double sens afin de se déplacer plus rapidement entre les tronçons est, ouest et sud de la ville.
« C’est le projet d’infrastructure le plus grand et le plus compliqué que la Nouvelle-Zélande ait jamais entrepris, explique Daniel Jurgens, responsable du département ingénierie numérique de Link Alliance. Le nombre impressionnant de personnes qui y travaillent et la nature même du projet ainsi que l’anticipation des problèmes engendrent un bouleversement qui va révolutionner les secteurs de l’architecture, de l’ingénierie et du BTP en Nouvelle-Zélande. »
Le pouvoir du travail d’équipe et des flux de travail numériques
Le métro souterrain comprend des galeries creusées à plus de 42 m de profondeur sous le centre-ville, galeries qui doivent être alignées de telle sorte à épouser le tracé et les courbes de la chaussée. Aménager l’espace pour permettre aux rames de traverser les tunnels tout en négociant les courbes s’est avéré un défi de taille. Par conséquent et afin de résoudre cette géométrie complexe, l’équipe de conception a mis au point des scripts de conception à l’aide du logiciel Dynamo d’Autodesk.
« Il est difficile de savoir avec précision comment les rames circulent sur l’alignement, dans les courbes et les déclivités sur toute la longueur du tunnel, ajoute Dean Burke, responsable d’ingénierie numérique du consortium. La structure et les services à l’intérieur du tunnel se déplacent et changent de côté pour pouvoir accueillir l’enveloppe cinématique des trains. Avec des dessins en 2D, on aurait simplement laissé plus de place pour faire face à ces complexités. Grâce à la conception par ordinateur, aux maquettes 3D précises ainsi qu’à la coordination spatiale, on peut cependant obtenir des tolérances plus serrées et optimiser les conceptions. »
En outre, ce travail de CAO a également joué en faveur de l’équipe lorsque la portée du projet s’est agrandie : au départ, il était question de rames de six voitures d’une capacité de 36 000 passagers. Il a fallu s’adapter pour incorporer des rames plus longues et de neuf voitures, capables de transporter jusqu’à 54 000 passagers aux heures de pointe. Plutôt que de recommencer à zéro ou d’effectuer des modifications manuelles, Dean Burke et son équipe ont pu répéter les scripts de conception et mettre à jour les paramètres des maquettes 3D pour inclure les nouveaux critères de conception moyennant un travail minimal.
Pour Cesare Caoduro, responsable de l’ingénierie numérique des tunnels de Link Alliance, le projet CRL permet à l’équipe de trouver des moyens plus efficaces d’utiliser la CAO et la conception générative en vue de produire des maquettes à jour plus rapidement au gré des changements de conception.
« Certains exemples comprennent l’utilisation de la conception générative pour produire une maquette exacte du tunnelier en fonction des exigences de l’entrepreneur et des exigences de conception, ajoute Cesare Caoduro. La maquette comprendra l’optimisation des voussoirs en fonction de la géométrie du tracé, et fournira à n’importe quel stade l’élément qui minimise la déviation de l’intention de conception. Une autre avancée, actuellement en phase de test, introduira des objectifs de conception et de construction tels que la maximisation de l’excavation dans des roches et un algorithme de recherche de formes pour optimiser le positionnement spatial des éléments en fonction des contraintes dans le sol. »
Par ailleurs, le logiciel d’Autodesk BIM 360 Design contribue à garantir la durabilité du projet CRL, un objectif clé dans la construction du métro souterrain d’Auckland. « En intégrant les informations relatives aux matériaux dans nos maquettes 3D, nous obtenons les effets sur les coûts, sur les quantités et sur la durabilité », explique Daniel Jurgens.
Données connectées : de la visualisation à la réalité virtuelle
La Link Alliance s’est tournée vers l’ingénierie numérique pour résoudre un grand nombre de problèmes afférents à la construction d’un métro souterrain : de l’examen de la conception aux formations concernant la sécurité sur le chantier, le consortium fait appel à la réalité virtuelle pour de nombreux aspects du projet. En visualisant le déroulement des opérations sur place dans le contexte de réalisation de la conception et de sécurité au travail, ce procédé permet de réduire les coûts. Par ailleurs, l’équipe met également au point un simulateur de conduite afin d’aider les opérateurs des lignes à mieux comprendre les nouveaux systèmes.
Pour recueillir les informations relatives au chantier, le consortium s’appuie sur les données en nuage de points issues à la fois des scanners terrestres LIDAR et des drones. Afin de suive l’évolution des travaux, les géomètres effectuent chaque mois des relevés du chantier par drone. On intègre ensuite ces informations directement dans les maquettes BIM. « L’accès aux données sur place change la donne pour les équipes de construction. La mise à jour des maquettes BIM au moyen des informations du chantier est essentielle à ce titre », avance Brice Gaudin.
En outre, l’Alliance réalise des maquettes temporaires de la conception des travaux ainsi que des animations des séquences de construction destinées à confirmer la constructibilité. Elle intègre alors les informations relatives à la gestion des installations à la maquette tandis que la conception et la construction se poursuivent.
Pour rassembler toutes ces technologies dans un environnement de données communes, le consortium fait appel à SharePoint, la plateforme collaborative de Microsoft basée sur le cloud. Cet environnement sert de centre névralgique où les équipes trouvent les informations qu’elles cherchent, ainsi que des liens vers leurs progiciels, notamment Civil 3D, InfraWorks, Navisworks, ReCap et Revit d’Autodesk.
Et Brice Gaudin d’expliquer : « Nous devons aussi conserver les procès-verbaux des réunions ou les décisions concernant la conception. Par conséquent, il ne s’agit pas uniquement d’un moyen d’échanger les données, mais aussi de communiquer et de partager. Il s’agit surtout de gérer tout le projet sur une plateforme. »
Par ailleurs, cet environnement de partage des données s’est avéré particulièrement précieux au moment où les restrictions relatives à la crise sanitaire ont été mises en place et que toutes les équipes ont dû passer au télétravail. « Lorsque la crise est survenue, nous avons simplement continué de travailler, remarque Daniel Jurgens. Sans cet environnement de partage des données, le projet se serait arrêté. »
Perfectionner les compétences au moyen de formations ciblées
Près de 1 200 personnes travaillent sur le projet d’un montant de 2,52 milliards d’euros, dont l’achèvement est prévu pour 2024. Trouver suffisamment de personnes possédant les compétences et les connaissances requises a été une gageure, par conséquent Link Alliance a conçu un programme de formation continue qui ciblait différents rôles : des outils de conception numérique pour les architectes aux méthodes d’excavation du tunnel pour les équipes de construction et d’ingénieurs, pour n’en citer que quelques-uns. Les séances de formation ont également été élargies aux prestataires et aux sous-traitants externes.
« Nous perfectionnons les compétences de tous les acteurs de ce projet, notamment dans le domaine du numérique, et c’est là, à mon avis que ce projet va transformer le secteur, avance Dean Burke. Nous allons non seulement satisfaire les exigences rigoureuses du projet actuel, mais aussi des projets d’avenir. »
Sans parler du perfectionnement des compétences, le projet CRL ouvre la voie au futur numérique de l’architecture, de l’ingénierie et du BTP en Nouvelle-Zélande. « Nous posons les fondations numériques que d’autres projets pourront exploiter, ajoute Daniel Jurgens. Une fois qu’on aura ces représentations numériques de notre environnement bâti, tout va changer : notre mode opératoire complet sera transformé, ce qui n’est que la première étape. »
« Avec l’Alliance, nous sommes tous concernés, nous partageons tous un bureau collectif et nous travaillons sur des informations en direct avec toutes les parties prenantes, conclut-il. Nous intégrons la notion d’être temporairement maîtres d’un savoir, avec des maquettes 3D qui évoluent au fil des différentes étapes de la conception à la gestion des installations. Cela exige une diligence supplémentaire pour permettre à tout le monde de transmettre en toute confiance les représentations numériques 3D au maillon suivant de la chaîne logistique. Cette transmission fait partie intégrante des objectifs de notre alliance. L’utilisation des flux de travail numériques permet d’obtenir les meilleurs résultats sur tout le cycle de vie du projet et en fin de compte, contribue au bien collectif de la Nouvelle-Zélande. »
Cet article a été mis à jour en octobre 2020. Il fut originellement publié en août 2020.